Mettre fin à l’itinérance… vraiment ? Définir le Zéro fonctionnel

À partir de l’analyse de différents plans et stratégies de lutte contre l’itinérance à travers le monde et en tenant compte de l’avis de personnes ayant vécu une situation d’itinérance, des chercheurs canadiens proposent une définition opérationnelle de la fin de l’itinérance et ouvrent une consultation afin d’établir un consensus. Résumé de la démarche.

L’Observatoire canadien sur l’itinérance, l’University of Calgary School of Public Policy et l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance se sont réunis pour collaborer à un processus menant à une définition sur la fin de l’itinérance.

Cet article rédigé par Karine Projean, étudiante à la maîtrise en santé communautaire, propose un résumé du processus et de la publication « Discerning Functional Zero : Considerations for Defining and Measuring an End to Homelessness in Canada », par Alina Turner, Ph.D., Kyle Pakeman et Tom Albanese.

Les auteurs ont analysé soixante plans et stratégies du Canada, des États-Unis, de l’Australie et de l’Europe, qui se trouvaient sur le site du Homeless Hub, et interrogé six personnes ayant vécu une situation d’itinérance.

L’utilité d’une définition commune pour la fin de l’itinérance

Une définition commune de la fin de l’itinérance avec des indicateurs mesurables facilitera l’analyse des approches et la mise en œuvre des politiques des gouvernements. Ceci permettra de cibler les investissements à faire, d’identifier les manques dans le système et les changements souhaitables des politiques. Il est important d’inclure dans ce travail les groupes, le public, les médias, les politiciens, les fournisseurs de services et ceux qui vivent en situation d’itinérance. Cette discussion aura lieu dans les prochains mois, et le devrait Québec s’y faire entendre.

Il est important de distinguer les deux définitions qui existent actuellement dans la littérature. Le Zéro absolu implique la complète disparition de l’itinérance dans une communauté donnée, ce qui est souvent vu comme étant irréaliste et inatteignable.

Le « Zéro fonctionnel » correspond à la situation dans une communauté où l’itinérance est devenue un problème gérable, ce qui signifie que la disponibilité des services et ressources est égale ou supérieure aux demandes de la population cible pour ces mêmes services. Les ressources de dépannage ne devraient être que temporaires, et leur objectif, le logement permanent. Le Zéro fonctionnel reconnaît donc que l’itinérance et les risques d’itinérance ne peuvent pas être complètement éradiqués, tenant pour acquis les choix personnels dans certains cas.

Ces deux approches ne sont cependant pas diamétralement opposées : le Zéro fonctionnel est plutôt vu comme une étape idéale du « Zéro absolu ».

Trois dimensions à considérer dans la définition du Zéro fonctionnel

L’expérience vécue

L’apport des personnes en situation d’itinérance ou qui ont vécu l’itinérance est primordial pour juger du succès des interventions. Ceux qui vivent l’itinérance ne la qualifient pas en cibles et en indicateurs de performance : ils regardent leur expérience et celle de leurs réseaux sociaux afin de développer une définition de ce que cela pourrait vouloir dire pour eux. Les participants ont nommé l’importance d’un sentiment de communauté et la socialisation par opposition à l’isolement social, qui les ramènerait à la rue.

Les personnes visées doivent être satisfaites du logement fourni, que ce soit au niveau de la sécurité, de l’accessibilité, des services qui leur y sont offerts ou de leur perception de leur qualité de vie, incluant la socialisation. Tout cela peut être évalué par des visites, des groupes de discussions, des consultations et des évaluations.

Les services directs : critères possibles

Le nombre de personnes dans les refuges doit diminuer d’au moins 25 % en trois ans.

Le nombre de personnes sans refuge doit être inférieur à 10 (dix) dans les centres urbains, et nul dans les communautés rurales.

Les personnes sans refuge doivent se faire proposer une place en refuge et l’accès à des services au moins aux deux semaines.

La durée de séjour en refuge doit être de moins de 10 (dix) jours avec un maximum de 60 (soixante) jours par an.

Le nombre de personnes qui emménagent dans un logement permanent doit être plus élevé que le nombre de personnes qui arrivent dans la rue sur une durée de trois mois.

Un maximum de 5 % des personnes qui reçoivent du soutien devrait retourner à la rue à l’intérieur d’un an.

Le système public – conditions nécessaires

Des mesures doivent être en place afin de prévenir l’entrée dans l’itinérance à partir des différentes institutions carcérales, protection de la jeunesse, hôpitaux, etc.

Les gouvernements doivent s’engager à ce que personne ne vive dans la rue et ils doivent fournir les services nécessaires.

Des logements abordables doivent être disponibles pour ceux qui présentent un risque imminent d’itinérance.

Les jeunes de 13 à 24 ans doivent recevoir des services d’urgence et de transition vers leur propre logement de façon sécuritaire.

Une coordination formelle doit être faite avec les services publics pour offrir des références et un accès.

Des sources de financement privées et publiques doivent être disponibles pour assurer le bon fonctionnement du système.

Les règlements municipaux ne doivent pas criminaliser les personnes sans-abri.
functional zero dimensions

Différentes mesures à travers le monde

Dans la lutte contre l’itinérance, il faut s’inspirer des meilleures pratiques.

Les plans canadiens visent la réduction de l’utilisation des hébergements d’urgence chez les personnes chroniquement ou épisodiquement en situation d’itinérance en offrant aux personnes un logement permanent avec un soutien personnalisé.

Aux États-Unis, la fin à l’itinérance signifie que chaque communauté a une réponse systématique en place afin de prévenir l’itinérance autant que possible et que, le cas échéant, l’expérience est rare, brève et ne se reproduira pas. Les États-Unis se sont d’abord concentrés sur la fin de l’itinérance chez les vétérans.

Les plans européens, quant à eux, ne se concentrent pas sur la fin de l’itinérance, mais plutôt sur sa réduction et la diminution de l’exclusion sociale. Les pays scandinaves comme le Danemark et la Norvège mettent l’accent sur la sortie des institutions et la réduction des évictions de logement. L’Irlande a un plan similaire, alors que l’Angleterre y ajoute l’emploi.

L’Australie se concentre sur la prévention et une amélioration des services.

Une consultation publique

Les instigateurs du projet invitent les individus et les organismes à participer au processus de consultation relatif à la définition proposée d’une fin de l’itinérance au Canada. Plusieurs possibilités sont offertes pour donner son avis :

Ils encouragent également les leaders locaux impliqués dans la lutte contre l’itinérance à mener des tables de discussion dans la communauté ciblant des groupes variés comme les fournisseurs de services, les individus ayant un vécu de l’itinérance, les chercheurs, etc. Une fiche-conseil et des questions sont fournies pour aider à organiser et mener la consultation (en anglais).

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