La pauvreté au Québec – Volet 2: l’aide sociale

Cette série fait la lumière sur la pauvreté au Québec et à Montréal. Dans le premier article, Alison Smith s’est demandé pourquoi la situation de l’itinérance chronique dans les quatre plus grandes villes du Canada est la même. Aujourd’hui, l’article s’intéresse au système d’aide sociale au Québec comparativement à trois autres grandes provinces.

L’article est aussi disponible en anglais.

 

Selon la politique sociale à laquelle on se réfère, la province du Québec est soit très similaire aux autres provinces canadiennes, soit tout à fait différente des autres. Le système d’aide sociale au Québec, notamment le niveau des prestations, les critères d’admissibilité et l’évolution du système dans le temps, est très similaire à celui des autres provinces. Le Québec est parmi les provinces les plus généreuses en ce qui concerne l’aide sociale offerte aux personnes seules et aux familles, mais Terre Neuve est en fait plus généreuse (voir pages 43-44, Tweddle, Battle et Torjman 2015). Toutefois, les actions menées par le Québec pour lutter contre la pauvreté, tant sur le fond que sur la manière dont elles ont été élaborées et appliquées, font qu’il se démarque des autres provinces canadiennes. Ce deuxième article s’intéresse au système d’aide sociale au Québec comparativement à trois autres grandes provinces. Le troisième et dernier article présentera plus particulièrement des actions menées pour lutter contre la pauvreté.

L’aide sociale est l’une des politiques les plus importantes permettant de sortir les gens de la pauvreté (ou pour les enfermer dans la pauvreté, comme cela peut être le cas).

Comme beaucoup de politiques sociales, notamment la santé, l’éducation et le logement, l’aide sociale relève des gouvernements provinciaux. (Les régimes de pension et l’assurance-emploi sont deux politiques sociales qui relèvent du gouvernement fédéral, telles que définies dans la Constitution canadienne.) Cela veut dire que l’on pourrait s’attendre à voir des différences d’une province à l’autre; les provinces ont, bien sûr, des histoires et des politiques différentes, et ces différences se reflètent dans les différentes politiques sociales qu’elles ont adoptées.

L’aide financière octroyée au moyen des programmes d’aide sociale au Québec est supérieure à celle qu’octroient les autres grandes provinces canadiennes, en particulier pour les familles, mais elle demeure bien en dessous du seuil de pauvreté. Quand on compare le Québec avec les 10 autres provinces canadiennes, il se classe parmi les provinces les plus généreuses, mais Terre Neuve, ui est plus petite, est plus généreuse en ce qui concerne l’aide sociale qu’elle offre.

La mesure de la pauvreté utilisée au Québec, et de plus en plus partout au Canada, est la mesure du panier de consommation (MPC).

La MPC est une mesure fondée sur le coût d’un certain « panier » de biens de consommation, notamment la nourriture, l’habillement, le logement et le transport, dont une personne a besoin pour répondre à ses besoins essentiels (Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion 2009). En considérant le coût du logement et d’autres biens localisés, la MPC permet de faire une comparaison plus précise de la pauvreté entre les provinces. Par exemple, le coût de la vie est plus bas à Montréal qu’à Vancouver, et la MPC prend cela en considération pour déterminer le nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté dans ces deux villes.

Le Québec est similaire aux autres provinces dans le fait qu’il différencie les prestataires de l’aide sociale (voir le chapitre d’Alain Noël dans Welfare Reform in Canada). Il y a plusieurs catégories d’aide offertes aux personnes, selon leur capacité à travailler; les personnes qui sont dans l’incapacité de travailler en raison d’un handicap ou d’une barrière très contraignante reçoivent des prestations plus généreuses. L’aide sociale la plus généreuse au Canada est offerte en Alberta aux personnes qui sont gravement handicapées. Les prestataires de cette catégorie d’aide sociale reçoivent 97,1 % de la MPC (données de 2014); c’est la seule catégorie dont le niveau d’aide octroyée est pratiquement égal à la MPC. En 2013, les prestataires de l’AISH, ou revenu garanti pour les personnes gravement handicapées, recevaient 102 % de la MPC.

Comme cela a été le cas dans les autres provinces canadiennes, les personnes seules aptes à travailler (qui forment la majorité de la population itinérante) au Québec ont constaté une diminution continue de leurs prestations d’aide sociale depuis 1993.

Il y a bien eu, certaines années, quelques petites augmentations dans les prestations d’aide sociale, notamment en 1999 et en 2004, mais dans l’ensemble, la tendance est à la baisse dans les prestations d’aide sociale depuis le milieu des années 1990; le niveau le plus bas, qui était de 7 636 $ par année pour une personne seule au Québec, a été atteint en 2008 (Tweddle et al., 2014). Les familles avec enfants, qu’elles soient monoparentales ou biparentales, ont vu leurs prestations d’aide sociale baisser à partir de 1993, puis commencer à augmenter à partir de 2003/2004. Cette augmentation a coïncidé avec la mise en place du plan d’action du Québec en matière de lutte contre la pauvreté Concilier liberté et justice sociale : un défi pour l’avenir, qui a pour objectif principal de sortir les familles et les enfants de la pauvreté.

Comme c’était le cas dans la plupart des provinces, l’aide aux personnes ayant un handicap a été plus généreuse et plus stable durant toute cette période qu’elle ne l’a été pour les personnes seules, la moyenne des prestations annuelles s’élevant à 11 500 $.

L’aide au revenu octroyée à une personne seule apte à travailler au Québec est d’environ 49 % de la MPC.  C’est étonnamment un chiffre élevé par rapport à ce qui est offert aux personnes seules dans d’autres grandes provinces du Canada. En Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, les personnes seules aptes à travailler reçoivent moins de 42 % de la MPC. Même si les prestations données aux personnes handicapées sont plus généreuses que celles octroyées aux personnes aptes à travailler, le niveau des prestations données aux personnes handicapées dans toutes les provinces, à l’exception de l’Alberta, est bien en deçà du seuil de pauvreté. Au Québec, les personnes handicapées reçoivent 70,6 % de la MPC. Les familles avec enfants s’en tirent un peu mieux; un couple avec deux enfants reçoit 72, 6 % et une famille monoparentale avec un enfant reçoit 79,1 % de la MPC.

À l’exception du programme de revenu garanti pour les personnes handicapées de l’Alberta (AISH), qui offre près de 100 % de la MPC, l’aide octroyée aux familles monoparentales avec un enfant au Québec est la plus haute offerte au pays, à 79,1 % (tous les chiffres sont tirés de Tweddle et al. 2014).

La plupart de ces prestations ont diminué à partir de 2013; par exemple, une famille monoparentale avec un enfant recevait 80, 5 % de la MPC en 2013, mais seulement 79,1 % en 2014. C’est peut-être parce que les prestations d’aide sociale ne sont pas toujours indexées, c’est-à-dire qu’elles ne suivent pas le rythme de l’inflation. Quand les prestations d’aide sociale ne sont pas indexées, elles ont moins de valeur avec le temps.

Tableau 2 : Taux des prestations de l’aide sociale en 2014 exprimés en pourcentages de la MPC (C.-B., Alberta, Ontario, Québec)

Tableau 1 P2

Les prestations d’aide sociale du Québec sont plus généreuses que celles d’autres grandes provinces du Canada, notamment l’Alberta, la Colombie-Britannique et l’Ontario. Toutefois, quand on compare les 10 provinces du Canada, le Québec n’est absolument pas la province la plus généreuse; les provinces de l’Atlantique offrent des prestations d’aide sociale plus généreuses. Les prestations d’aide offertes à tous les groupes de bénéficiaires (familles, personnes seules) sont bien en deçà du seuil de pauvreté tel qu’il est défini par la MPC au Québec. La catégorie qui reçoit le moins de prestations est celle des personnes seules, qui composent la majorité des itinérants chroniques.

Bien que le filet de sécurité social du Québec soit, à bien des égards, plus généreux et plus universel que celui des autres provinces, une personne seule sur le bien-être social ne reçoit même pas la moitié de ce dont elle a besoin pour satisfaire à ses besoins essentiels. Avec des seuils de pauvreté aussi bas, il n’est pas étonnant que les gens se retrouvent enfermés dans la pauvreté.

[1] Données de Tweddle et al., 2015 pour l’année 2014

[2] Données de Tweddle et al., 2015 pour l’année 2014

[3] Données de Tweddle et al., 2015 pour l’année 2014

[4] Données de Tweddle et al., 2015 pour l’année 2014


Le troisième article de la série présente plus particulièrement des actions menées pour lutter contre la pauvreté.


Télécharger l’étude au format PDF:  La pauvreté au Québec.


 Alison Smith est candidate au doctorat à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur l’itinérance au Canada.

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